Les Enfarinés de Cassaniouze

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Les dissidents anti-concordataires

Source : " Le pays d'où l'on vient " édité par l'amicale du Canton de Montsalvy (informations fournies par R. Bobis le 12/12/1998 et confirmées par Bernard Lassale et Jeff Souquières en janvier 2000).

Pour situer le contexte national, on lira un article de la revue "Les aïeux retrouvés" du Cercle de Généalogie et d'Histoire du Crédit Lyonnais, du 1er trimestre 2006. Article nommé "Les dissidents anti-concordataires" de Mme Mireille Pailleux. P26 à page 46 avec illustrations et photos. L'article retrace les circonstances du phénomène mais surtout son ampleur à travers différentes régions françaises.

La promulgation du Concordat ne fut pas accueillie avec une joie unanime. Si les partisans de l'Eglise romaine se réjouirent de ce qu'ils considéraient avec raison comme une faveur inattendue du ciel, d'autre part, les représentants de l'esprit révolutionnaire déplorèrent la reconnaissance officielle du culte catholique. De plus, parmi les catholiques eux-mêmes, il se rencontra des intransigeants pour ne pas admettre la valeur du nouveau pacte. Beaucoup de prêtres réfractaires considérèrent le Concordat comme arraché au pape par la force, et, par suite, comme étant sans valeur. Pour eux, le clergé concordataire, comme auparavant le clergé constitutionnel, n'était composé que d'intrus, remplissant leurs fonctions ecclésiastiques sans aucun mandat légitime.

Lorsqu'à la veille du concordat le pape Pie VII demanda à tous les évêques de France leur démission. afin de procéder à une refonte générale de l'administration épiscopale, trente-huit prélats protestèrent, demandèrent un sursis ou imposèrent des conditions. De ce nombre fut l'évêque de Rodez, M. de Seignelay-Colbert.

Un certain nombre de prêtres de l'Aveyron, dont les plus connus sont les abbés Delhom et Régis restèrent fidèles à leur évèque, et entraînèrent avec eux le doyenné de Villecomtal, et dans le Cantal, les paroisses limitrophes de Cassaniouze, Vieillevie et Saint-Projet.

Cette secte anti-concordataire, qui eut aussi de nombreux adhérents dans les diocèses de Tours, de Poitiers et surtout en Bretagne, est connue sous le nom de Petite Eglise. C'est un épisode local de son histoire que nous rappelons ici, sans entrer naturellement dans aucune considération théologique.

A la fin de l'année 1809, le préfet du Cantal signalait, dans le canton de Montsalvy, la présence de prêtres insoumis du département de l'Aveyron qui troublaient la tranquillité publique " en entretenant un fanatisme absurde et dangereux parmi les paysans qui ne veulent pas reconnaître leur pasteur légitime ". Deux surtout se faisaient remarquer var leur activité, les nommés David, originaire d'Entraigues et Garrigoux, natif également de l'Aveyron.

Ces deux prêtres allaient, vêtus en paysans, dans des maisons isolées des communes de Ladinhac et de Cassaniouze, sur les bords du Lot " où il y a beaucoup de précipices ". D'après un rapport adressé au préfet, ils étaient escortés par des hommes armés qui faisaient sentinelle.

En leur absence, ces prêtres dits puristes ou illuminés, étaient remplacés par les paysans eux-mêmes qui " faisaient les enterrements et autres fonctions " employant de l'eau bénite " d'avant la Révolution ". On disait qu'ils se rendaient à Saint-Flour à tour de rôle pour voir un autre insoumis, nommé Sagette, qui y était détenu.

Les poursuites ordonnées par le préfet du Cantal ne donnèrent pas de résultats ; les deux prêtres qui trouvaient un asile assuré dans les bois et chez les habitants furent longtemps insaisissables.

" Ces prêtres fanatiques et illuminés ont été vigoureusement poursuivis, écrivait le préfet le 4 mai 1811 ; l'un d'eux a été au moment d'être arrêté " Il s'agit très probablement de David qu'un rapport de gendarmerie nous représente comme ci détenu par un mal aux jambes considérable " et qui fut en effet arrêté au début de l'année 1812 dans le département de l'Aveyron.

Il est probable que Garrigoux, rendu prudent par l'arrestation de son compagnon, dut se garder de reparaître dans le canton de Montsalvy, ou, s'il le fit, ce fut très secrètement, car sa présence n'y est signalée qu'à la fin de l'année 1815.

A la date du 3 novembre, le maire de Ladinhac écrit au préfet du Cantal :

" Si toutes dissenssions ont dû cesser à l'époque de la pacification générale, à bien plus forte raison auraient-elles dû se taire parmi les membres du clergé. La police instruite dans le temps des agitations de ce parti (la petite église) en avait rendu les chefs plus circonspects. Ils ne paraissaient que furtivement. Nous étions loin de penser qu'ils dussent reparaître lorsque nous avons appris l'arrivée du nommé Garrigoux, prêtre de l'Aveyron, qui a célébré la fête de la Toussaint et celle des morts, au lieu de Lascombes, de ma commune, avec toute la publicité et solennité que ses adhérents et ceux des communes voisines à ce dessein assemblés, ont pu y mettre. Ses prêches ont été les mêmes, de violentes sorties contre nos pasteurs et leurs fauteurs, fortifiant de plus en plus ses auditeurs dans leurs opinions erronées.

Tant d'éclat a attiré l'attention de MM. nos prêtres, desservant et vicaire. Ce dernier s'est transporté dans la maison qu'occupait le sieur Garrigoux ; il lui a été facile de combattre les faux raisonnements de cet étranger, mais il ne put le ramener aux principes, et l'a quitté dans son obstination. M. le desservant a instruit du tout ses supérieurs ecclésiastiques. "

Ceux-ci pas plus que le préfet n'étaient d'avis d'user de rigueur.

Le vicaire général de l'évêque de Saint-Flour écrivait : " Nous sommes portés à croire que de simples menaces faites par l'autorité locale aux particuliers qui peuvent recevoir ces prêtres étrangers suffiront pour les éloigner de ce département. " De son coté le préfet répondait au maire de Ladinhac " que le prochain arrangement des affaires de l'église devant mettre ces prêtres en harmonie avec le reste du clergé, il n'apparaît pas nécessaire d'user de rigueur envers eux. "

Cependant, Garrigoux reparut à Ladinhac au mois de mars 1816, ce qui motiva entre le maire de cette commune et le préfet du Cantal l'échange de lettres suivant :

" Le sieur Garrigoux, prêtre dissident, écrivait le premier, vient d'arriver dans le pays. Arrivé dès hier au matin, au lieu des Gribaldes, commune de Labesserette, extrême limite de la commune de Ladinhac, tous ses partisans se sont rendus ce matin au dit lieu, pour y assister aux sermons et offices religieux qui s'y célèbrent depuis hier matin sans interruption. Je puis d'autant assurer les faits ci-dessus, que c'est à ma porte qu'est le lieu de la réunion, et qu'en s'y rendant, le public est obligé de passer sous mes croisées. "

De la réponse du préfet. nous extrayons ce passage

" Si MM. les curés des paroisses voisines ont su mériter la confiance de leurs paroissiens, comment l'autorité de leurs paroles ne retient-elle pas, ne fixe-t-elle pas auprès d'eux leur troupeau ? Pourquoi déserte-t-on les églises où il faut entendre la parole de Dieu, pour aller la recueillir d'une bouche étrangère ? Leur considération, leur honneur sont intéressés à ce que cette défection cesse tout d'abord et sans retour. "

A la même date, le maire de Cassaniouze écrivait au préfet pour lui signaler l'importance des agissements des prêtres illuminés qui bénissent les mariages sans aucune formalité civile préalable et " compromettent ainsi l'état de leurs dupes ".

Nous mentionnons surtout cette lettre parce qu'elle est signée d'un nom que nous avons écrit souvent au cours de cette étude : Pélamourgue de Cassaniouze ; il s'agit très certainement du fils ainé de l'émigré.

Cette réapparition de Garrigoux à la fin de 1815, et la publicité qu'il donnait à la célébration de ses offices s'expliquent par ce fait que le gouvernement impérial venait de faire place à l'ancienne monarchie. Garrigoux et ses partisans essayèrent de profiter des événements en adressant au préfet du Cantal et au roi lui-même un long mémoire dans lequel ils se représentaient comme les défenseurs fidèles et persécutés de l'état de choses antérieur à 1789.

Dans sa lettre d'envoi au préfet, Garrigoux s'exprimait ainsi :

" Le sieur Antoine Garrigoux, prêtre, habitant de la ville de Rodez, département de l'Aveyron, a l'honneur de vous exposer que les fidèles royalistes de la paroisse de Cassaniouze, département du Cantal, usant par son ministère de la liberté de professer la religion et la foi des anciens évêques, le curé ci-devant napoléoniste et certains de son parti ont engagé le maire de cette commune à le faire arrêter.

Leur difficulté principale roule sur la liberté que ce prêtre fidèle se donne de répéter les leçons des anciens évêques pour prêcher la pénitence chrétienne contre le schisme et en faveur de la réunion franche et loyale avec le roi.

Il est d'ailleurs un prêtre pacifique aussi bien que fidèle, que les républicains firent arrêter il y a dix ans et conduire et détenir aux prisons de Rodez et de là aux prisons d'Aurillac sans autre cause que la jalousie sur la discordance de l'opinion et de la religion.

Vous êtes trop puissant et trop éclairé, Monsieur, pour ne pas concilier vos ménagements politiques avec la protection civile de la liberté des vrais royalistes pour les plus grands intérêts du Roi et de la chose publique. Le peuple serait d'ailleurs scandalisé de voir renaitre le sceptre de fer et la persécution de l'Eglise contre la Constitution et la bonté paternelle de notre roi.

En conséquence ledit Garrigoux avec les susdits fidèles de Cassaniouze vous prient d'accueillir par avance leur justification, d'ordonner au maire de Cassaniouze de ne point procéder à aucune arrestation dudit Garrigoux jusqu'à ce que vous aurez vérifié les dénonces en attendant toutes parties, et de donner cet ordre par écrit au porteur de la présente pétition pour le remettre lui-même de suite à M. le maire de ladite commune. "

A cette lettre est joint un mémoire ayant pour titre :

Justification devant Monsieur le Préfet et devant Sa Majesté Louis dix-huit, d'un prêtre et d'un peuple constamment royalistes contre les prétention et les menaces arbitraires d'un curé ci-devant napoléoniste.

Voici les passages les plus caractéristiques de ce manifeste politico-religieux :

" Il s'agit d'un prêtre et d'un peuple qui, en matière de foi et de religion, suivent et ont toujours suivi le corps des anciens évêques qui n'ont jamais adhéré aux lois de la République ni au prétendu concordat de Napoléon surtout depuis sa désorganisation et qui en conséquence ne sont pas de la communion des évêques et des prêtres ci-devant napoléonistes quoique paraissant royalistes actuels, jusqu'à ce que, par leur rétractation formelle et leur pénitence suivant les formes canoniques, ils se seront religieusement et sincèrement aussi bien que civilement ou extérieurement réconciliés et réunis avec le Saint Siège, avec les anciens évêques et avec le roi...

Il est donc de l'intérêt et du devoir le plus urgent du prince aussi bien que de l'Eglise de tenir la main aux ouvriers de l'Evangile pour produire cette réconciliation religieuse des prêtres avec le roi ou bien pour convertir le peuple à l'amour sincère et constant du roi pour la régénération de la Chose Publique...

Le ménagement du préjugé (dévastateur) de la Liberté révolutionnaire parait se trouver actuellement dans la protection civile du libre exercice de tous les partis dans l'ordre spirituel de l'opinion et la profession religieuse sans rien toucher à l'ordre civil et excluant toute voie de fait, toute violence politique.

Et l'honneur, le triomphe même complet du gouvernement légitime dans l'état actuel des choses paraît consister en ce que pas un seul parti n'ait point lieu d'être mécontent du gouvernement, quant à la tolérance politique de l'ordre spirituel (quoique extérieur) de chaque religion.

On demande que cette liberté ou cette tolérance soit protégée au nom de la Constitution du roi, eu égard à la force des circonstances et pour le désespoir des ennemis de l'Etat jusqu'à ce que le retour absolu des principes, et les nouvelles dispositions des évêques et du roi auront invité tous les partis à se réunir dans les églises sous un seul et même pasteur...

Il est d'ailleurs de l'intérêt du Roi de se faire respecter par tous les partis, de n'avoir aucun ennemi dans son royaume et d'avoir pour lui tous les amis que le tyran n'a pu obtenir. La liberté politique et égale de tous les partis dans le moment actuel peut seule lui garantir cet avantage devant tout le peuple...

Et si par l'ascendant de la foi ancienne mise en libre activité, le roi parvient à faire déployer dans tout son peuple, les germes fertiles de l'ancienne piété et loyauté française, son règne se trouvera replacé sur ses antiques bases, et l'exécution de sa loi n'exigera plus aucun ménagement de circonstance et ne souffrira plus d'irrégularité.

Le curé ci-devant napoléoniste se plaint que le prêtre fidèle ministre des anciens évêques méconnait sa communion et sa juridiction ; il l'accuse en cela d'être réfractaire et perturbateur contre l'exemple du Roi et contre l'ordre public.

On répond : 1° Que le parti Napoléoniste s'est mis lui-même sous la loi de l'excommunication et de la déposition par le propre fait de sa main et de sa foi données au tyran hérésiarque contre l'Eglise catholique et contre le Roi, et il y reste de droit jusqu'à l'époque de sa réconciliation et de sa réintégration par le Saint-Siège, et par les anciens évêques ou par leurs délégués ; - 2° La loi de l'Eglise qui l'exclut de sa communion et le prive de sa juridiction ne peut être soumise sous aucun rapport à l'autorité et au prétendu exemple du roi...

Le curé ci-devant napoléoniste reproche au prêtre fidèle qu'il exerce le Saint-Ministère sans approbation et dans les paroisses et les diocèses qui ne sont pas de sa circonscription. - Il répond : 1° Qu'il a l'approbation extraordinaire de Pie VIII et des anciens évêques pour toutes les paroisses et les diocèses de l'Eglise persécutée jusqu'à la fin de la persécucution et jusqu'au retour des supérieurs légitimes. A cet égard les ci-devant soumisionnaires sont dépositaires, aussi bien que les insoumis, des lettres imprimées de Pie IV et de la publication faite par les Grands Vicaires des ordres de l'évêque en conséquence de ceux de Pie VI et des permissions obtenues du Saint-Siège par les évêques en général pour permettre aux prêtres étrangers de fonctionner dans leur propre diocèse eu égard à la nécessité résultant de la Révolution.

- 2° Il peut d'ailleurs exercer le Saint-Ministère dans l'état actuel des choses sans approbation explicite des supérieurs par la seule autorité que lui donne le droit divin de l'obéissance due à Jésus-Christ envers son institution et son commandement absolu de la perpétuité du Saint-Ministère, et il peut l'exercer au delà de la forme circonscriptive ordinaire par l'autorité que lui donne le droit divin de la charité ou de la nécessité pour le salut des âmes et des peuples à cause du besoin des fidèles délaissés dans les lieux des différentes circonscriptions résultant de l'absence du propre pasteur ou de la déchéance de la catholicité.

Le curé ci-devant napoléoniste insiste encore ; il reproche au prêtre royaliste qu'il vient faire des fonctions dans la paroisse.

On répond : 1° Que ce n'est pas là sa paroisse, parce que ce ne sont pas là ses paroissiens, ils ne veulent pas l'être, et ils ont droit de ne pas vouloir l'être, non seulement par le fait de sa déchéance de la juridiction de l'Eglise résultant de son schisme soutenu, et de là par sa déposition de droit, mais encore par l'abdication qu'il a fait lui-même de sa juridiction sur eux et de son droit de paroisse en embrassant la loi de la liberté révolutionnaire et en leur consentant, leur cédant par cela même le droit de se choisir une religion différente et de se soustraire à sa juridiction ,

- 2° Il est donc évident qu'il n'a d'autre paroisse ou d'autres paroissiens que les justiciables volontaires de la communion des évêques ci-devant républicains et napoléonistes qui en restent justiciables canoniques des anciens évêques, et paroissiens de leurs délégués sous l'Empire de l'Eglise et du Roi ;

- 3° Il est d'ailleurs également ridicule et insensé de leur part de prétendre juridiction sur le territoire de leurs anciens paroissiens restés fidèles à l'Eglise et au roi dans le temps qu'eux-mêmes, en soumettant les principes du christianisme aux principes anti-chrétiens de la philosophie républicaine, ont déserté par cela même la paroisse des fidèles en changeant le fonds de leur religion qui est la profession intègre de la foi et en perdant par ce fait la substance de leur constitution paroissiale de manière à n'en retenir que les emblèmes et les apparences.

Enfin le curé ci-devant napoléoniste fait un crime au prêtre fidèle délégué des anciens évêques : 1° d'exercer sa religion publiquement ou hors des édifices ; 2° de se permettre certaines dérogations à l'usage ordinaire de l'église des anciens évêques quant à la forme de la publication religieuse des bans du mariage.

On répond : 1° Que la liberté de professer la religion qu'on a choisie appartient à tous les citoyens et à chacun des citoyens de droit et sans restriction (selon la Constitution du Roi) et par conséquent soit dans les édifices de leurs maisons soit dans l'enceinte extérieure de leur territoire

- 2° La liberté des fidèles royalistes ne saurait être moindre à cet égard que celle des protestants, parce que la Constitution royale assure à chacun la liberté de professer sa religion sans restriction aux religions déjà autorisées par Napoléon. Il est d'ailleurs bien singulier de la part des prêtres ci-devant républicains de se jalouser contre les fidèles de ce qu'ils se contentent et se servent de leurs propriétés domestiques pour honorer leur religion et faire leur salut dans le temps qu'ils ont eux-mêmes placé sous la rapine du tyran hérésiarque (ou consenti à la loi de cette rapine) les temples consacrés par les anciens évêques. et que en continuant de souiller ces lieux ci-devant sacrés par leur persévérance obstinée dans la volonté et dans le lieu contracté du schisme (puisqu'ils refusent de faire l'acte de repentir et de rétractation nécessaire nour leur réconciliation) ils forcent par cela même les fidèles de s'en teni'r constamment éloignés, et d'en être privés ; - 3° les fidèles disciples des anciens évêques et du roi ne s'informent point par quelle cérémonie religieuse le curé ci-devant napoléoniste célèbre ses mariages. Le gouvernement lui-même du Roi ne prétend point s'immiscer dans l'ordre purement religieux des mariages.

Quel droit peut donc avoir le curé au tribunal de la liberté commune donnée aujourd'hui par le roi pour s'élever avec violence contre les dispenses de la forme ordinaire dont use le prêtre fidèle en vertu des pouvoirs reçus des anciens évêques et du Saint-Siège quant à la publication des bans faite dans l'assemblée religieuse, surtout lorsque les dispenses se trouvent nécessitées par les circonstances.

Fait ce 23 avril 1816. " " GARRIGOUX, prêtre, habitant de Rodez. "

Ce verbeux manifeste ne paraît pas avoir eu l'effet qu'en attendait l'auteur. Passé l'année 1816, nous ne trouvons d'autre trace de Garrigoux et des Illuminés que l'arrestation de l'un d'eux, nommé Barbaute, prêtre de la commune de Mouredon, qui eut lieu à Cassaniouze le 16 mai 1817.

Les fidèles de la Petite église sont plus connus dans notre département sous le nom d'enfarinés de Cassaniouze. Quelle est la signification de ce mot ? Enfarinat doit-il être pris au sens de blanc, synonyme de royaliste ; ou bien signifie-t-il entêté, obstiné ? Les deux versions sont également acceptables.

Quoi qu'il en soit, le nombre des enfarinés diminua peu à peu ; cependant plusieurs familles conservèrent ces traditions jusque vers la seconde moitié du XIXè siècle ; mais sur ce point nous n'avons rien à apprendre aux " Enfants du canton de Montsalvy ".


Les "enfarinés"

Texte sans auteur fourni par M. Combelles (descendant de Souquières) d'estieu par l'intérmédiaire de Yvette Souquières le 7/6/00 Les "enfarinés"

Tous ceux qui s'intéressent d'un peu près à l'histoire religieuse connaissent l'origine de la "Petite Eglise". Ce schisme, né au moment du Concordat de 1801, eut pour origine le refus de plusieurs évêques français de se démettre de leurs sièges comme le leur demandait le pape Pie VII. Ce désir du pape était motivé par la nécessité de donner au pays un épiscopat neuf sans attache avec l'Ancien Régime, comme le demandait Bonaparte. Parmi les opposants, il y avait l'évêque de Rodez, Mgr Seigneley Colbert. Beaucoup de ses diocésains lui demeurèrent fidèles et le suivirent dans le schisme, de sorte que plusieurs paroisses de l'Aveyron refusèrent de reconnître le nouvel évêque. Parmi ces paroisses, il faut citer Notre-Dame d'Aynès et Grand-Vabre, limitrophes de Cassaniouze et Vieillevie. Le Lot qui sépare les deux départements n'empêche pas les idées anti-concordataires de se répandre et quatre paroisses au moins, de la Châtaigneraie adhérèrent au schisme: Cassaniouze, Vieillevie, Ladinhac, Saint-Projet. Disons en passant que d'autres localités du Cantal eurent aussi leur "petite église", par exemple Saint-Illide dans le canton de Saint-Cernin.

Les "adhérents" à ce schisme étaient surnommés "les Enfarinés", parce qu'ils portaient les cheveux longs, comme bien des gens avant la révolution, et qu'ils les poudraient avec de la poudre de riz ou plus simplement avec de la farine. Leurs chefs étaient les abbés Delhom originaire de Thérondels, et Régis né à Villecomtal.

A partir de 1810, le schisme s'étiole, faute de prêtres. Les fidèles, observateurs stricts de la morale catholique, continuèrent leurs réunions du dimanche, leurs lectures pieuses, leurs longues prières. Ils se baptisaient eux-mêmes, n'entraient pas dans les églises et n'admettaient pas de prêtres au chevet de leurs malades. Les obsèques se déroulaient simplement au cimetière, présidées par le plus ancien des Enfarinés. Cassaniouze eut le monopole de la persévérance dans cette pénible erreur, car la Petite Eglise y survécut jusqu'en 1911, année où Mgr Lecoeur, évêque de Sint-Flour, vint recevoir l'bjuration des derniers Enfarinés qui vivaient au hameau de la Bécarie. Signalons que la dernière survivante de ces convertis mourut en 1929, âgée de 88 ans.

Le curé de Cassaniouze en 1911 était l'abbé Gibial. Il publia en 1912 une histoire de la "Petite Eglise" remplie de détails pittoresques. Grâce à elle nous savons que ce fut le vicaire Bernard Souquières, qui, au lendemain de la Révolution, propagea le schisme. Réfractaire, il avait vécu caché dans les cavernes et les bois qui plongent dans le Lot durant plusieurs années, répondant au péril de sa vie aux appels des chrétiens qui réclamaient son ministère. Traqué par les gendarmes de Montsalvy, il put toujours leur échapper. En 1801, il refusa de reconnaître le nouvel évêque de Saint-Flour, Mgr de Belmont, et il se retira dans sa famille au Prat. Son prestige demeurait cependant très grand dans toute la Châtaigneraie et les gens venaient de loin pour assister à sa messe et entendre ses sermons. Plusieurs fois il fit venir au Prat et dans les villages de Ladinhac les abbés Régis et Delhom. L'abbé Souquières mourut en 1808 sans être réconcilié avec l'église et les prêtres aveyronnais ont continué à venir prêcher dans la Châtaigneraie, formant des cathéchistes et apprenant aux plus pieux à exhorter les mourants.

Mgr de Belmont, nouvel évêque de St-Flour, ne voulant pas que ces chrétiens dissidents fussent inquiétés. Il comptait avec raison sur le temps pour user le schisme... Mais nous venons de le dire, il fallut attendre plus d'un siècle - jusqu'en 1911 - pour le voir disparaître totalement.

Il m'a été donné, il y a dix ans, de visiter le hameau de la Bécarie, dernier refuge de ces chrétiens intransigeants que furent les membres de la famille Malbert. Distant de sept kilomètres de Cassaniouze, surplombant la vallée du Lot, la Bécarie se présenta à mes yeux étonnés avec ses quatre bâtiments couverts de tuiles grises. Au fond du ravin le Lot roulait ses flots verdâtres. Face au modeste hameau le village aveyronnais de la Vinzelle s'érigeait sur un éperon rocheux. De l'autre côté de la rivière, on voyait Grand-Vabre et la chapelle Saint-Roch. Partout des bois et des rochers semblant prêts à plonger dans les eaux attirantes; et sur toute cette nature solitaire tombait un silence ... Dans la cour de la ferme une fontaine, des réservoirs pour économiser l'eau, plus bas, une treille, un champ pour le chanvre, des vignes, des jardins. Ici on vivait en économie fermée. Nous entrons dans la maison, accueillis par une parente des Malbert. Elle parle d'eux avec respect. Elle nous montre des photographies. Voici la cheminée dominée par un vieux crucifix. "C'est le Christ que priaient mes parents. Il n'a pas bougé de là". A côté, la chapelle où ils faisaient leurs longues prières et où ils lisaient la Bible. Le dimanche, avec les domestiques, ils récitaient l'ordinaire de la messe, et le soir les vêpres.Durant tout le Carêùe, on ne mangeait ni viande, ni oeufs. On ne se servait ni de beurre ni de crème. On faisait la soupe à l'huile et toute la famille jeûnait tous les jours jusqu'au Samedi-Saint. Jamais on ne travaillait le dimanche, ni même aux fêtes supprimées par le Concordat.

Dans la cuisine, assis autour de la table, nous parlons des ancêtres, et de la dernière, l'austère Jeannou. Dans mon esprit, j'évoque la scène du 9 mai 1911, qui vit la rentrée dans l'Eglise de ces admirables réfractaires, dignes émules des religieuses et des messieurs de Port-Royal. Je crois voir la majestueuse figure de Mgr Lecoeur qui reçut l'abjuration des Malbert at qui leur donna le sacrement de Confirmation...

Peu à peu meurent ceux qui les connurent de près. En 1964, le petit Lassale, devenu un vieillard chenu et qui avait assisté à la cérémonie de 1911, vivait au village de Rueyre. Il y réside peut-être encore... Soeur Marie-Odile, religieuse de la Sainte-Famille à Aurillac, se souvient toujours de l'arrivée du bel évêque à la Bécarie et de la bénédiction qu'il lui donna avec son sourire inoubliable et sa bonté majestueuse. Quelques vieillards conservent le souvenir ému de Jeanne Malbert qui, chaque matin, venait, à jeun, à l'église de Cassaniouze, entendre la messe et communier. Sept kilomètres aller, Sept kilomètres retour, ne faisaient pas peur à cette convertie. Elle repose maintenant au cimetière du bourg avec les siens.